Une fois par mois, nous donnons la parole à de jeunes artistes sous le format d’une interview. Ce format a pour objectif de donner aux jeunes artistes un espace de discussion et de partage de leurs productions, mais aussi de faire découvrir au public leurs parcours & leurs démarches artistiques. Ce mois, nous avons eu le plaisir d’échanger avec Anna-Katharina Krisch, artiste et étudiante à la Royale Collage of Art de Londres.
Hello Anna, est-ce que tu peux te présenter, dire d’où tu viens, ce que tu fais dans la vie ?
Hello JATT! Je m’appelle Anna-Katharina Krisch et j’ai grandi dans un village à côté de Grenoble en France. Actuellement, je finis ma dernière année de Master en Communication Visuelle au Royal College of Art à Londres.
Quels sont les sujets qui te préoccupent dans ta pratique ?
Globalement, je dirais que les sujets que j’aborde dans mes projets sont beaucoup liés à la pédagogie. Mais aussi à l’inclusivité sous différentes formes, en abordant des sujets comme le féminisme, la dyslexie ou le réchauffement climatique, car je veux m’assurer que mes projets soient accessibles à tous et que, même si je les lie à des expériences personnelles, les personnes puissent s’y retrouver et s’en inspirer.
Tu es actuellement étudiante en Master de Communication Visuelle à la RCA de Londres. Quelles ont été les écoles que tu as fréquentées auparavant ?
Je n’ai jamais été très scolaire. D’ailleurs, j’avais horreur de la voie générale. Alors, dès le lycée, je me suis réorientée en faisant un Bac Professionnel en communication visuelle, puis j’ai fait ma Licence à l’école Estienne à Paris en Design Graphique numérique. Après ça, j’ai déménagé en Angleterre pour faire un an à la London College of Communication en Communication Visuelle et maintenant je fais ma dernière année de Master au Royal College of Art ! En sortant du lycée, je pensais vouloir être graphiste. Ensuite, lorsque j’étais à Paris, j’ai reçu une formation très numérique, alors je voulais devenir motion designer. Puis, en arrivant en Angleterre, je suis tombée amoureuse du print et de l’édition, et j’ai compris que je voulais faire la paix avec ça et m’orienter plus vers le design éditorial. Donc je dirais que c’est grâce à ces trois formations très différentes, qui font toutes partie du même domaine, que j’ai pu faire mûrir ma pratique et comprendre ce que je veux apporter à notre société en tant que designer.
À quel moment as-tu eu l’idée de rejoindre la filière communication visuelle ?
Lorsque je me suis réorientée au lycée, je pense que je n’avais aucune idée de ce qu’était la communication visuelle et comment elle pouvait englober tellement de domaines et prendre tellement de formes. C’est vraiment lorsque je suis rentrée à la RCA, en discutant avec mes tuteurs, qui ont valorisé ma démarche et mes idées, et qui m’ont comprise, que j’ai vu mon potentiel dans ce domaine. J’ai une voix et être communicatrice visuelle, c’est un cadeau car cela te permet de partager cette vision et de la retranscrire visuellement pour la rendre lisible.
Qu’est-ce que tu explores et as exploré pendant ce Master à la RCA ?
Durant cette année, je me suis beaucoup penchée sur des projets qui me tenaient à cœur, et ça m’a fait un bien fou car auparavant je devais tout le temps suivre un brief que les profs me donnaient. Là, j’ai la main libre. J’explore donc des sujets qui me tiennent à cœur en créant des objets éditoriaux, physiques et en variant les techniques. Cette année, j’ai beaucoup testé la découpe laser pour faire des objets, des pochoirs ou des tampons à partir de bois ou de MDF. J’ai aussi beaucoup imprimé en riso, en explorant la superposition de couleurs et le letterpress. Je veux continuer à explorer de nouvelles techniques et rester curieuse.
Pour toi que représente le graphisme/la communication visuelle ?
Selon moi, le graphisme fait partie d’une branche de la communication visuelle. Les deux servent à communiquer quelque chose visuellement, c’est assez libre au final. Tu crées des éléments visuels pour transmettre un message. C’est la même chose, sauf qu’en général on lie le graphisme à une fonction plus culturelle qui va servir à quelque chose de plus trivial en créant un objet de communication, soit print soit digital.
Personnellement, la communication visuelle est un outil pour aborder visuellement des sujets qui me semblent importants. Cela peut être des sujets sociétaux et/ou politiques en les vulgarisant pour les rendre plus accessibles. De plus en plus, je me tourne vers le design pour les adolescents et les enfants, en explorant la communication par l’apprentissage ludique. Pour moi, c’est une méthode qui a du sens car j’ai eu des difficultés à l’école. Le système scolaire dans lequel j’ai grandi était très individualiste, compétitif et peu créatif. Alors, j’essaie de prendre ma revanche, entre autres, en proposant des outils graphiques qui vont à l’encontre de cela.
Comment lies-tu ton travail et tes histoires personnelles ?
De plus en plus, je me rends compte qu’il faut que je lie mes projets à des expériences personnelles, car cela leur donne une dimension plus intime qui me plaît et qui me pousse aussi à être plus vulnérable. C’est comme une sorte de quête pour me connaître davantage, et ces projets m’aident à me trouver. Sur quasiment tous mes projets, je fais un travail de documentation et d’archivage. Je pense que c’est important car cela permet d’exercer une sorte de rétrospective sur ma pratique. J’essaie de lier mon travail à des histoires personnelles car cela me permet de mieux comprendre le sujet, de partager une vision empathique et de l’approprier à ma façon.
Tu viens de Grenoble, plus précisément de Quaix-en-Chartreuse. Est-ce que la nature et la montagne ont une place dans ta pratique ? Est-ce que c’est un sujet de narration important pour toi ?
Complètement, avoir le privilège de grandir près des montagnes m’a permis, je pense, d’avoir une sensibilité aux choses qui m’entourent. La nature m’inspire car c’est un lieu dans lequel j’ai été baignée toute mon enfance. C’est ma maison, c’est mon cocon. On peut apprendre plein de choses de la nature, et je veux continuer de m’en inspirer, c’est sûr !
De quelle manière tu travailles sur un projet ?
Le protocole change toujours beaucoup. Parfois, je gribouille mes idées sur papier jusqu’à trouver le bon concept, parfois je me balade dans des librairies, je touche à tout et je prends des photos des livres et papiers qui me plaisent. Parfois, je discute avec mon entourage sur un sujet qui est important pour moi et je cherche comment communiquer dessus, sous quelle forme, etc. Mais en général, c’est très intuitif, je me laisse emporter par la méthode qui me semble la plus souple pour le projet dont je veux parler, et puis je me lance.
Peux-tu décrire ton travail en 3 mots ?
Je dirais : Doux, textuel et coloré
Quel projet sur lequel tu as travaillé dernièrement t’a emmené à une découverte, surprise ?
Dernièrement, j’ai travaillé sur un projet sur le Mycélium. J’en ai fait un livre/carnet qui sensibilise et apprend à faire pousser ses propres champignons chez soi. C’était très amusant à faire car j’ai fabriqué mon propre papier recyclé à la main, et dans certains, j’ai incorporé des spores. C’était une expérience très expérimentale car je ne savais pas si cela allait fonctionner, et j’ai adoré le processus d’impression qui était très laborieux.
Sur quel support préfères-tu le plus travailler ?
Je commence toujours quasiment par réaliser ma mise en page et mes visuels en numérique, mais mon support préféré reste la sérigraphie, qui est un procédé d’impression très peu consommateur d’énergie car l’encre utilisée est à base de soja. Cela me permet d’avoir une finalité à mon projet lorsque je l’imprime, et notamment lorsqu’il est réalisé en risographie, je découvre mon projet sous un angle différent.
Tu as participé à une exposition avec ton option et la Tate Britain, pourrais-tu nous parler de ce projet d’exposition? Comment ça s’est déroulé ?
Oui, c’était absolument incroyable d’avoir eu la possibilité d’exposer à la Tate Britain ! En gros, c’est grâce à un ami de lycée de ma tutrice qui travaille aux archives de Tate et qui a vu nos projets. Il s’est dit que ce serait génial de faire une exposition avec nous. Alors, il nous a fait une visite privée des archives qui correspondent à la catégorie des « formats publics ». Le but était de s’inspirer textuellement d’une de ces archives pour créer notre propre archive. C’était complètement fou, j’ai adoré chaque seconde de cette journée. J’ai travaillé sur ce projet pendant seulement deux semaines, mais j’ai réussi à produire quelque chose qui me satisfait.
Je voulais parler de ton projet « Correspondence to a Light », une œuvre composée de photos et de textes en anglais et en français qui aborde le deuil, le dialogue entre différentes photos et textes. Pourrais-tu en parler davantage ?
« Correspondence to a Light » est un projet qui évoque le fait que j’ai perdu ma maman il y a 5 ans et que les montagnes où j’ai grandi en Chartreuse me permettent, d’une certaine manière, de correspondre avec elle. J’ai choisi de créer des lettres en hommage à elle pour parler de mon deuil. J’ai utilisé des photos que j’ai prises de ma région, de nos randonnées ensemble car elles me rappellent ma mère. Ces lettres que j’ai écrites à la machine à écrire qui appartenait à ma grand-mère sont destinées à elle, mais aussi aux autres et à moi-même. J’aborde dans cette œuvre la distance, le temps et la perte de mes repères. C’est profondément personnel, mais aussi extrêmement important à mes yeux d’avoir consacré ce projet à ma maman, enfin. Et quel meilleur hommage que de réaliser un projet en son honneur dans un si grand musée ?
Quelle est, selon toi, la plus grande difficulté en tant que jeune artiste ?
Je pense que pour moi, il y a la difficulté de me trouver, de comprendre ce que je veux communiquer et de quelle manière. Puis, il y a une grande peur de ne pas pouvoir m’exprimer, d’être restreint créativement face aux demandes d’un client ou au temps trop court à consacrer à des projets qui me tiennent à cœur.
J’ai encore toute cette liberté dans mes choix créatifs car je suis encore en master, mais cela va être difficile et très différent lorsque je serai dans le monde du travail.
Quels sont tes références actuelles et celles qui ont eu un impact majeur dans ta pratique ?
Pour moi, il y a deux aspects : d’une part, les personnes qui m’inspirent par leur mentalité et leur approche créative ; d’autre part, ceux qui m’inspirent à travers leur esthétique et leur technique. Ainsi, je citerais en premier lieu Victor Papanek, qui demeure une référence majeure pour sa mentalité. Il est un défenseur du design responsable d’un point de vue écologique et social, s’opposant aux produits industriels et à la société de surconsommation. En ce qui concerne l’esthétique et la créativité, je trouve de l’inspiration chez les designers et artistes Jochen Gerner et Jérémie Perrodeau, qui pratiquent une illustration vulgarisée, ainsi que chez les collectifs Riso sur Mer et Earthbound Press, notamment avec Seed Magazine.
Y a-t-il de nouvelles pratiques vers lesquelles tu souhaiterais te diriger ?
En ce moment, je travaille sur un jeu de plateau pour mon projet de fin d’année, et j’explore l’impression sur textile ainsi que la découpe laser. J’aimerais donc continuer à développer mes compétences dans ces techniques. Par exemple, j’apprécie particulièrement repousser les limites d’une imprimante, tester quels matériaux peuvent être imprimés ou non. Par ailleurs, j’aimerais m’essayer à l’impression cyanotype et à la sérigraphie, ainsi qu’apprendre à développer des photos argentiques.
Comment aimerais-tu faire évoluer ta pratique ?
J’ai envie de continuer à aborder des sujets engagés et de voir mes projets se concrétiser. Pour moi, ce qui a du sens, c’est de lier mes projets à des associations ou des écoles où je pourrais organiser des ateliers, par exemple. Aider les gens, faire bouger les choses à ma manière en communiquant visuellement. J’aimerais un jour pouvoir créer mon propre studio où je pourrais exercer ma pratique comme je le souhaite, inviter des personnes à apprendre la technique d’impression risographique, par exemple, et accueillir des ateliers créatifs et d’apprentissage dans mon studio. Qui sait, peut-être que cela se réalisera !
Qu’es ce que l’on peut te souhaiter pour la suite ?
Du bonheur, de la joie et toujours, toujours de la curiosité!
Vous pouvez retrouver le travail de Anna-Katharina Krisch sur Instagram