Une fois par mois, nous donnons la parole à de jeunes artistes sous le format d’une interview. Ce format a pour objectif de donner aux jeunes artistes un espace de discussion et de partage de leurs productions, mais aussi de faire découvrir au public leurs parcours & leurs démarches artistiques. Ce mois-ci, nous avons eu le plaisir d’échanger avec Zoé Numan, une artiste et étudiante en peinture à l’École nationale supérieure des arts visuels de la Cambre à Bruxelles, en dernière année de master.
À travers ses œuvres, Numan interroge notre rapport à l’identité dans un monde de plus en plus fragmenté. Issue d’un parcours multiculturel, entre la France, les Pays-Bas et la Belgique, elle inscrit son travail dans cette question fondamentale : comment se définir lorsque tout semble en perpétuelle évolution ? Pour elle, la peinture devient le médium idéal pour transposer cette complexité, offrant une forme tangible aux émotions et aux réflexions intérieures.
Hello Zoé, es-ce que tu pourrais te présenter et nous dire d’où tu viens et ce que tu fais ?
Je m’appelle Zoé Numan, je suis moitié Française, moitié Néerlandaise. J’ai vécu en France jusqu’à mes 17 ans, ensuite j’ai vécu aux Pays-Bas jusqu’à mon arrivée à Bruxelles il y a un an. Je viens de commencer ma deuxième année en Master de peinture à la Cambre.
Quelles sont les problématiques et les sujets auxquels tu te heurtes dans ton travail ?
Je pense que le fait d’avoir beaucoup bougé, et d’avoir une éducation multiculturelle me fait poser pas mal de questions sur l’identité et comment c’est traité dans notre monde actuel. Je pense que dans une époque où on a tendance à vouloir tout catégoriser et définir, il faut pouvoir apprécier l’entre-deux, l’inconnu et le différent, au lieu de voir ça comme une menace ou un problème.
Je pense aussi que quand on s’intéresse à la lumière, l’obscurité est absolument à prendre en compte. Le contraste rend la présence des choses tangible, et nous rend compte du temps. Ce qu’on prend pour la réalité est en partie ce qu’on voit, et en partie un collage de nos propres images intérieures. Il y a donc une part plus abstraite, plus attachée à l’imagination, qui permet d’ouvrir des possibilités, et de construire une vision plus complète du monde. Je m’intéresse à tous ces lieux où les frontières se croisent, littéralement et figurativement.
Pourquoi les transposer sur le format de la peinture ?
C’est le besoin d’exprimer quelque chose d’insaisissable tangiblement. Je pense que de traiter des moments qui me marquent ou me touchent, me permet de leur donner une place, de mieux comprendre une situation, comprendre mes émotions et peut-être aussi celles des autres.
Pour toi c’est quoi la peinture ?
C’est une confrontation. Peindre peut être agréable, thérapeutique parfois. Mais souvent c’est une confrontation à des problèmes auxquels il faut trouver une solution.
Il y a dans ton travail un choix de cadrage photographique dans les scènes que tu peins, comme si elles étaient prises sur le vif.
La plupart des images que j’utilise sont des photos que j’ai prises moi-même. J’ai, d’un côté, des photos prises sur le vif, capturant des atmosphères qui m’intéressent, mais je fais aussi, plus rarement, des mises en scène d’images que j’imagine. Je sais à peu près, dès la prise de la photo, si elle pourrait être intéressante pour une peinture. La sélection de mes images commence toujours par un état émotionnel ou une image à laquelle je pense régulièrement. De plus en plus, j’essaie de choisir des images qui ne me séduisent pas trop directement, afin de laisser la peinture créer un espace qui lui est propre.
Quel est ton sujet de prédilection ?
Je pense que ce qui m’attire avant tout, c’est la lumière et les contrastes. Aussi, les moments de transition et d’entre-deux. J’ai une certaine obsession pour le crépuscule. Je pense que la nuit offre plus de possibilités que le jour.
Dans tes peintures, il y a beaucoup de figures humaines. Comme tu prends souvent toi-même les photos, j’en déduis que les personnes que l’on voit dans tes œuvres sont celles que tu connais ou que tu fréquentes. Est-ce que cela te paraît évident de les peindre ?
Je pense que c’est évident, car peindre des personnes que l’on connaît, avec qui on a partagé des moments, apporte du sens. Si je peignais des inconnus, ce serait un autre ensemble de valeurs qui nourrirait ma peinture. De plus, connaître quelqu’un permet d’aller plus facilement à l’essentiel dans le traitement, que ce soit dans la posture, l’attitude ou les traits. J’arrive plus facilement à dépasser le simple portrait et à m’intéresser davantage à l’atmosphère elle-même.
Dans le passage de la photo à la peinture, il y a des erreurs, des changements, des modifications. Comment procèdes-tu pour opérer ces changements ?
C’est une question qui revient souvent, car j’aime beaucoup mes premiers jets. Quand vient le moment où les formes se définissent et que je vois déjà tous les éléments nécessaires dans la peinture, il reste la grande question de savoir jusqu’où aller. Il y a une part d’invention et de modification de l’image dans le traitement des couleurs, dans la composition et dans la touche, et c’est là qu’il faut savoir se détacher de la photo. Il faut essayer de se faire confiance et s’amuser à trouver des solutions picturales. Ce qu’on espère toujours trouver, c’est une sorte de vibration, et il faut savoir reconnaître quand cela se produit.
J’imagine une peinture, puis elle change complètement par rapport à l’idée originale en cours de réalisation. J’essaie en ce moment de me laisser aller un peu plus, justement pour provoquer des accidents et voir ce qu’il en ressort.
Tu es en dernière année à la Cambre : qu’est-ce que cela t’a apporté dans ton travail, ta démarche de création et de recherche ?
C’est la première école d’art que je fréquente. Avant cela, j’avais fait un bachelor en Humanités à Maastricht. J’ai peint seule dans un atelier pendant trois ans, mais j’ai commencé à me sentir bloquée, et il me manquait vraiment des échanges avec des personnes dans la même situation. J’ai décidé de postuler à la Cambre après avoir assisté aux portes ouvertes, car j’ai trouvé que tout le monde semblait avoir des univers bien développés, des pratiques très variées et des visions de la peinture totalement nouvelles pour moi. Cela m’a apporté un nouveau regard et, surtout, un cadre qui me pousse hors de ma zone de confort. Cela m’a vraiment aidée à sortir de ma sensation de blocage et à explorer de nouvelles pistes. La peinture étant généralement un moment solitaire, il est important de se sentir membre d’une communauté.
Quelles sont les références qui t’accompagnent en ce moment ? Celles qui t’ont beaucoup marquée, actuelles et plus historiques ?
C’est assez varié. En ce moment, je regarde beaucoup les scènes de nuit de Doron Langberg, Whistler et Spilliaert. C’est difficile de n’en citer que quelques-uns, mais les démarches de ces artistes m’intéressent : Gerhard Richter, Leon Xu, Issy Wood, Friedrich Kunath, Victor Man, et dans un autre registre, Olafur Eliasson, Ann Veronica Janssens et Jenny Holzer. Parmi les références plus anciennes, j’ai été marquée par une exposition de Sorolla à Giverny, ainsi que par les œuvres de Kupka et Klimt.
Quelle est, selon toi, la plus grande difficulté en tant que jeune artiste ?
Ne pas se mettre trop de pression.
Comment te projettes-tu après l’école et qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?
J’espère continuer sur ma lancée et être surprise !
Merci à Zoé Numan d’avoir accepté notre invitation, vous pouvez découvrir son travail sur son compte Instagram.
https://www.instagram.com/zoenuam/