Une fois par mois, nous donnons la parole à de jeunes artistes sous le format d’une interview. Ce format a pour objectif de donner aux jeunes artistes un espace de discussion et de partage de leurs productions, mais aussi de faire découvrir au public leurs parcours & leurs démarches artistiques. Ce mois, nous avons eu le plaisir d’échanger avec Juliette Lempereur, artiste et étudiante aux Beaux-Arts de Bruxelles en Belgique.
Bonjour Juliette, pourrais-tu te présenter brièvement ? Nous dire d’où tu viens ? Et présenter brièvement ta pratique ?
Bonjour, je m’appelle Juliette Lempereur, j’ai 23 ans, et je viens de Grenoble. Je travaille à partir de fils, de tiges métalliques et d’épingles, avec lesquels je construis des surfaces flottantes et des petits objets. Je dirai que j’ai une pratique de dessin dans l’espace, guidée par des gestes de tissage et de couture.
Tu es actuellement étudiante à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles en Dessin. Auparavant, tu étais en Design Textile. Pourquoi avoir choisi cet enseignement ? Qu’est-ce que tu es venue chercher en Dessin ?
Le cursus dessin des Beaux-Arts de Bruxelles est particulier, il aborde le dessin de façon très large, et forme en réalité avant tout à devenir artiste. En design textile, j’ai appris à développer des techniques (tissage, sérigraphie, broderie,…) mais pas à développer une démarche. C’est surtout ça que je suis venue chercher en dessin. La transition entre les deux ateliers m’a été facilitée par le fait qu’en dernière année de textile j’ai pu développer un projet dans l’atelier de dessin. Là-bas, j’ai trouvé les outils conceptuels qui me manquaient, en rapport avec le tracé, la couleur, le support… Ce nouveau regard m’a permis de progressivement envisager le fil comme un outil autonome, au même titre qu’un crayon ou un stylo.
Le dessin m’a apporté beaucoup de choses, mais pour aller à l’essentiel je dirai de la joie. Un malin plaisir à fabriquer des choses inutiles, à détourner les objets, à jouer avec les mots. Et à finalement être beaucoup plus ouverte et mobile dans ma façon de fabriquer et de penser.
J’ai aussi pu voir que tu as eu une licence en Science & Design, est-ce que cela a nourri ton travail ? Est-ce que le design a une part importante dans ton travail ?
J’ai beaucoup aimé la rationalité et la rigueur des sciences. J’étais en licence de mathématiques et d’informatique, alors j’étais plongée dans un univers très logique, et assez ludique. Même si je ne fais plus de sciences maintenant, je continue à en garder l’esprit. Pour ce qui est du design, il m’a permis de nourrir un intérêt pour la fabrication d’objets, en particulier industriels. Les objets industriels demandent d’avoir un certain esprit de synthèse, de penser chaque élément de façon modulaire, de générer des formes simples. Aujourd’hui, aller à l’essentiel dans les formes reste très important pour moi, malgré que mes productions n’ont plus rien d’utilitaire !
Quels sont les sujets/thèmes que tu abordes dans ta pratique ?
Je travaille surtout autour de l’air, à la fois comme sujet (la transparence, la sensation d’apesanteur, le ciel et les nuages…) mais aussi comme matériau, puisque l’air fait partie de mes pièces. Je me suis aussi un peu intéressée à l’eau, à son mouvement, ses reflets. A côté de ça, j’aime jouer avec les codes de l’écriture (la linéarité, les boucles, la couleur bleu du stylo bille…), et puis avec mes outils de couture (épingles, aiguilles…) pour fabriquer des petits objets légers et minimaux, parfois un peu étranges.
Peux-tu décrire ton travail en 3 mots ?
Bleu, aérien, ligne souple.
Comment démarres-tu ton travail, par quel geste premier ?
Comme je travaille à des échelles assez différentes (du mini-objet, à la surface tissée échelle humaine) c’est un peu difficile de répondre, mais globalement je dirai que j’attaque toujours par le faire. J’aime que mes idées soient concrètes, plutôt que de faire de plans sur la comète. Je monte une chaîne de tissage par exemple, ou alors je chipote avec 3 bouts de fils… Je fais parfois des croquis avant de ma lancer mais c’est vraiment rare que j’ai une idée figée et définie à l’avance de ce que je vais faire. En fait, j’aime bien me laisser guider par mes gestes et la réaction de la matière tout au long du processus – qui est parfois très long ! –
Ton travail interroge le dessin, la spatialité du dessin mais aussi par les matériaux utilisés : le fil. Qu’est-ce qui t’a intéressé dans le fil ?
Le fil est assez magique parce que c’est un peu comme un trait, mais souple et tridimensionnel. Il me permet de créer des dessins sans support papier. Le fil, accompagné d’une ou deux tiges métalliques ou quelques épingles, se supporte lui-même ou est supporté par d’autres fils.
Tu travailles aussi bien contre le mur où tes œuvres se propagent que dans l’espace même d’exposition. Est-ce important pour toi d’interroger la mise en espace ?
Je me suis parfois baladée dans l’espace d’exposition mais je reste profondément attachée à l’espace du mur. Sans doute parce que les ombres qui s’y déposent m’intéressent, elles donnent une présence supplémentaire aux volumes aérés que j’y accroche. C’est comme si une respiration naissait entre les fils et le mur.
Il y a un jeu entre tension et équilibre, donc un contraste dans ton travail, que ce soit dans les lignes, la contamination, ou les choses ordonnées. Est-ce que ce jeu de contrastes est important pour toi ?
Oui, pour commencer j’aime bien qu’un processus très rigoureux puisse générer des formes très libres, juste grâce aux réactions de la matière (ses résistances, les lois de la pesanteur, etc). Ensuite, là où certaines pièces paraissent très harmonieuses parce que la façon dont elles sont ordonnées génère peu de tension, j’aime que d’autres soient dans une sorte d’équilibre précaire et que cela se ressente, que les matériaux soient aux limites de leur résistance.
Quelles sont les références qui t’accompagnent en ce moment ? Et quelles sont celles qui t’ont beaucoup marqué ?
J’adore les œuvres de Joseph Beuys, son rapport à la matière (molle entre autres)… et puis ses dessins! A part ça, rien à voir mais je pense que je suis très habitée par la musique baroque, mes études en flûte à bec au conservatoire. Le baroque demande une certaine rigueur mais une fois qu’on la maîtrise, le jeu est très libre. Pour moi c’est un peu la même chose en tissage, c’est la rigueur qui m’apporte de la liberté. Et pour ce qui est de la flûte, il n’y a pas d’instrument plus aérien…
Quelles sont, selon toi, les conditions idéales ou les catalyseurs pour créer une « bonne œuvre » ou pour considérer que c’est terminé ?
Pour moi, faire et regarder sont deux temps différents. Et lors du processus, il faut faire des allers-retours entre les deux. Pour le temps du regard, on peut se faire aider par d’autres (pour moi en tout cas, c’est essentiel d’avoir un œil extérieur). Avec ça, je pense qu’on peut plus facilement savoir quand s’arrêter.
Quelle est la plus grande difficulté selon toi en tant que jeune artiste ?
Garder la confiance et l’obstination quoiqu’il arrive, assumer d’être inutile (du moins au premier abord) et de faire des choses qui peuvent paraître absurdes, ne pas compter sur l’art pour vivre, passer son temps à envoyer des bouteilles à la mer et attendre (mais en s’occupant, pour ne pas avoir l’impression d’attendre), rester toujours positif… Et savoir bien s’entourer, aussi.
Comment te projettes-tu pour l’après-école et qu’est-ce que l’on peut te souhaiter pour la suite ?
Je pense que l’après école ne va pas radicalement changer de maintenant dans le sens où ma démarche va juste se prolonger, après je ne sais pas où et comment j’aurai envie de vivre. Mais pour ce qui est de ma production je me dis qu’elle est suffisamment mobile pour que je puisse la développer où je veux. Et concernant ce que l’on peut me souhaiter, je dirai exposer et échanger autour de mon travail, ça fait vraiment partie des moments que j’adore.
Vous pouvez retrouver Juliette Lempereur sur Instagram & sur son Internet.
https://juliettelempereur.fr/
https://www.instagram.com/juliette_lempereur