Jules Prodoillet artiste peintre vivant en Suisse se concentre chaque mois sur un aspect formel ou stylistique spécifique de l’œuvre d’un peintre contemporain. L’objectif est d’analyser comment cet artiste continue, modifie ou renouvelle des approches initiées par ses prédécesseurs dans l’histoire de l’art, en particulier dans le domaine de la peinture.
Pendant notre enfance, nous avons tous joué au moins une fois avec les illusions d’optique. L’une des plus célèbres est sans doute celle inventée par le psychologue et sociologue allemand Müller-Lyer en 1889, où un segment terminé par des flèches pointant vers l’intérieur semble plus long qu’un segment identique se terminant par des flèches pointant vers l’extérieur.
Ces illusions d’optique, loin d’être simplement ludiques, ont émergé à la fin du XIXe siècle dans le cadre d’expériences de psychologie expérimentale visant à comprendre comment nos perceptions du monde se construisent. Elles ont révélé que l’illusion résulte de l’exploitation biaisée par le système visuel des informations qui lui parviennent. Contrairement à un simple instrument de mesure, le système visuel fonctionne comme un moyen d’interagir efficacement avec l’environnement.
Eliot Möwes, 2023
À partir des années 1960, des artistes tels que Vasarely ou Miss Riley ont exploré les illusions d’optique dans le cadre de recherches picturales, donnant naissance à l’Op’art ou art optique. Principalement abstraites et géométriquement strictes, ces œuvres produisent des altérations légères de la vision, des vibrations, des confusions sur le relief ou la platitude d’une surface, des impressions de mouvements, d’éclat lumineux, de vibrations, et bien d’autres effets. Contrairement aux œuvres cinétiques ou futuristes, les effets de l’Op’art se manifestent uniquement sur la rétine, et non dans l’œuvre elle-même.
Aujourd’hui, de nombreux artistes continuent d’explorer les illusions d’optique pour perturber notre vision. C’est le cas d’Eliot Möwes, un jeune artiste suisse basé à Crissier, dont le travail de Bachelor à l’ECAL a remporté le prix Ernest Manganel en 2021. Utilisant principalement la bombe de peinture noire sur des supports blancs, Möwes crée des œuvres sur des sculptures en papier, des toiles, des panneaux publicitaires, ou même des murs en extérieur. Ses tracés élémentaires, tels que des cercles, des courbes, des zig-zags ou des spirales, associés au floutage précis des contours caractéristique de la peinture au spray, transcendent le caractère revendicatif du graffiti pour créer des images atemporelles, à la fois denses et vaporeuses.
Figure 1. Eliot Möwes, bombe sur toile, 2022.
Devant les toiles d’Eliot Möwes, notre vision est troublée par divers phénomènes optiques, parfois difficiles à soutenir. Par exemple, dans la figure 1, une lumière éblouissante semble émaner de l’intérieur du cercle noir, bien que le blanc du centre soit identique à celui du fond. Ce jeu subtil de dégradés crée également l’illusion d’un cercle lumineux entourant l’extérieur du cercle noir.
Figure 2, Eliot Möwes, 2021.
Dans la figure 2, si l’on fixe longtemps le milieu du bord droit, la moitié droite du triangle semble disparaître, un effet connu sous le nom d’effet Troxler. Ce phénomène s’explique par le fait que les photorécepteurs de la rétine ne sont plus stimulés en périphérie lorsqu’on fixe un point, créant une confusion chez le spectateur.
Figure 3. Eliot Möwes, 2021
Une autre illusion, présente dans la figure 3, fait percevoir les extrémités de la bande noire comme plus foncées que le centre du tableau. Cela résulte de la propension naturelle du cerveau à accentuer les contrastes de clair-obscur.
En somme, le vertige ressenti face aux œuvres d’Eliot Möwes révèle et interroge simultanément les limites de notre vision et les principes qui façonnent nos perceptions du monde.