Une fois par mois, nous donnons la parole à de jeunes artistes sous le format d’une interview.
Ce format a pour objectif de donner aux jeunes artistes un espace de discussion et de partage de leurs productions, mais aussi de faire découvrir au public leurs parcours & leurs démarches artistiques. Ce mois-ci, nous avons eu le plaisir d’échanger avec Esteban, artiste peintre et étudiant aux beaux-arts de Toulouse.

Salut Esteban, pour commencer, peux-tu te présenter ?

Salut ! Moi, c’est Esteban Lorenzo Domingo, je suis né le 31 octobre 2003, j’ai grandi dans plusieurs petites villes autour de Toulouse. Je suis actuellement étudiant en 2e année aux Beaux-Arts de Toulouse et j’explore la peinture à travers une figuration qui parle du vivant dans notre monde moderne.

 À quel moment as-tu décidé de rejoindre les Beaux-Arts de Toulouse ?

Être artiste, c’était mon rêve d’enfant depuis toujours, mais petit, j’avais l’impression que les Beaux-Arts étaient réservés à une élite, avant de découvrir que c’est une école où l’on apprend avant tout. Les Beaux-Arts sont arrivés à moi après une réorientation. J’étais d’abord dans des études de sciences de l’ingénieur qui ne me plaisaient pas du tout. Puis, voulant faire de l’art, je me suis inscrit dans une école d’arts appliqués sans trop savoir où aller. Je l’ai rapidement quittée pour aller chercher cette liberté artistique propre aux Beaux-Arts, que je cherchais tant.

J’ai passé le concours pour Toulouse en parallèle de mon école privée, un peu comme une bouteille à la mer. J’ai été pris, et j’ai saisi cette occasion que je ne regrette absolument pas. Car maintenant, j’ai l’impression d’avoir réellement trouvé ma place et de faire ce que j’aime.

Pour ce qui est de l’arrivée aux Beaux-Arts, je l’ai vécue comme un nouveau départ. C’était la troisième année que je faisais une L1, et j’avais envie de faire beaucoup de choses, de montrer que j’avais ma place ici. J’ai été rapidement envoûté par la peinture, que j’expérimentais déjà un petit peu, jusqu’à ce que ça devienne ma pratique artistique principale.

Quelles thématiques principales explores-tu dans ton travail ?

Dans ma peinture, j’aime bien dire que je parle de la relation entre le vivant et l’espace qu’il occupe. Mon sujet premier est l’humain, et j’explore la relation qu’il entretient avec des environnements drastiquement opposés, allant de cadres domestiques apaisants, liés au confort et au bien-être, à des espaces de travail conçus volontairement par notre société capitaliste pour la production.

C’est cette friction entre ces deux univers qui m’intéresse particulièrement. Je veux montrer cette vie moderne sous plusieurs aspects. C’est montrer l’intimité des gens chez eux, dans des positions libérées et confortables. Et, sur leur lieu de travail, montrer ces individus invisibilisés, avec des corps contraints par les machines.

Pour ce qui est de ma relation avec les images que je peins, tout ce que je pose sur la toile a habité ma vie à un moment donné. Que ce soit les gens ou les espaces, je les ai d’abord rencontrés avant de les peindre. C’est-à-dire qu’il existe, avant la peinture, une relation avec le monde, car je retranscris des expériences personnelles réelles.

Concernant ta manière de travailler : travailles-tu à partir de photographie ou directement par observation ?

J’ai une méthode de création d’images liée au photomontage numérique de mes propres photographies. Dès que je rencontre des espaces ou des objets qui me sautent aux yeux par leurs formes, leurs couleurs, leurs textures, je les capture avec mon téléphone pour les réutiliser dans un cadre de composition nouveau. Cela me permet de jouer avec les perspectives et l’alignement des masses, afin de provoquer des incohérences qui surgissent ponctuellement.

Pour ce qui est des personnages, je fais souvent poser des proches en leur demandant d’adopter une attitude passive ou endormie, comme s’ils laissaient tomber les responsabilités qu’ils portent dans la vie de tous les jours. Là où, au contraire, les personnages au travail sont habités par le faire et se retrouvent dans un espace-temps lié à l’activation de leur corps.

Je leur demande de ne pas faire attention à moi pour capturer les gestes réels.

 À quel moment estimes-tu qu’une photo « mérite » de devenir une peinture ?

J’utilise la photo avant tout comme un outil de récolte au service de la peinture et, de plus en plus, j’aime jouer avec mes prises de vue pour créer un décalage lors du photomontage. J’ai choisi la peinture parce qu’elle permet de faire émerger l’image petit à petit. Elle est une construction, et elle est malléable, ce qui permet de faire des choix picturaux pouvant évoluer au fil du processus. C’est une partition de doute et de désir.

Qu’est-ce qui t’intéresse dans le fait de peindre des scènes, des instants du quotidien ?

Cette démarche vise, dans un premier temps, à montrer que les éléments ordinaires qui habitent nos maisons sont à la fois communs à la vie de tous, banals, et occupent des fonctions premières comme nettoyer ou ranger. Mais en réalité, ils sont riches d’informations personnelles qui les rendent singuliers. Ce qui m’intéressait dans cette série, c’était justement de montrer la singularité de ces espaces fondamentalement communs, et de prendre conscience que les objets que nous côtoyons sont chargés d’informations singulières, propres à des choix faits par l’humain.

Comment commence une peinture ?

Mes peintures débutent par des croquis ou des idées de composition que je griffonne grossièrement. Ensuite vient la phase de chasse à l’image, soit alimentée par une récolte ponctuelle au quotidien lors de déplacements, soit provoquée, par exemple en faisant poser des gens. Suit alors le photomontage, qui permet de jouer avec la position des éléments, leur orientation, leur taille, etc. Puis je passe à la peinture, qui réserve toujours des surprises, avec des choix et des envies qui peuvent évoluer en cours de route, jusqu’à aboutir à un tableau terminé.

Ta palette est très colorée, vive, parfois criarde : peux-tu nous parler de ton rapport aux couleurs ?

Bien sûr, j’utilise de plus en plus de couleurs, là où auparavant j’avais tendance à vouloir absolument coller au réel, comme un naturaliste. Désormais, je me permets de saturer mes images pour faire ressortir la vie à travers la couleur elle-même. Je me suis pas mal intéressé aux contrastes de couleurs et aux effets qu’elles produisent entre elles. Dans un monde où la couleur s’éteint progressivement, j’ai vraiment envie de lui accorder une place de plus en plus significative à l’avenir.

Dans tes compositions, il y a souvent de grandes zones de vide (que j’adore !).
Pourquoi laisses-tu ces zones de réserve ?

J’estime que le vide peut avoir autant d’importance que le plein, comme lorsqu’on apprend à dessiner en observant les contre-formes. Ce vide a, selon moi, une consistance propre à la peinture : il relève du non-geste et crée un espace de respiration.

Il y a aussi une vraie rencontre entre peinture et dessin dans ton travail, Est-ce un parti pris conscient d’alterner entre dessin et peinture ?

Le dessin m’accompagnait bien avant la peinture, et je pense que j’ai appris à peindre avec ces techniques inconsciemment enregistrées dans ma main. Il est vrai que je dessine beaucoup avec mes pinceaux. Je pense que les deux pratiques sont intimement liées, et j’ai besoin de faire resurgir et rendre visible cette pratique que j’avais délaissée, pour peindre à l’intérieur même de mes tableaux.

Quelles sont les références, qu’elles soient actuelles ou historiques, qui t’inspirent en ce moment ou t’ont beaucoup marqué ?

Parmi mes inspirations, il y a récemment la Nouvelle Objectivité des années 20 en Allemagne, qui me touche beaucoup. Il y a aussi le Quattrocento et, bien sûr, le réalisme de Courbet. Dans la maîtrise des couleurs, je trouve une grande inspiration chez des peintres comme Hockney, Bonnard, Matisse. Et, dans la scène contemporaine, Laurent Proux, dont le travail fait vraiment écho en moi. J’ai également commencé quelques lectures qui m’inspirent, comme les écrits d’Hannah Arendt sur le monde dans La Condition de l’homme moderne, ou encore l’écrivain allemand Hermann Hesse, qui explore les quêtes identitaires de ses personnages.

Mais en réalité ma première source d’inspiration, ce sont mes amis artistes avec qui j’échange le plus souvent.

 Comment te projettes-tu après l’école ?

Pour le moment, je me projette encore à l’école, car je suis au début de mon cursus. Cependant, j’aimerais, au cours de mon parcours, faire un échange à l’étranger pour voir comment ma pratique évoluerait dans des environnements nouveaux. J’aimerais aussi changer d’école pour découvrir autre chose et rencontrer de nouvelles personnes avec des perspectives artistiques diverses.

Et enfin : qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite de ton parcours ?

Plein, plein de bonheur, d’amour, de rencontres et de succès !

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