Une fois par mois, nous donnons la parole à de jeunes artistes sous le format d’une interview.
Ce format a pour objectif de donner aux jeunes artistes un espace de discussion et de partage de leurs productions, mais aussi de faire découvrir au public leurs parcours & leurs démarches artistiques. Ce mois-ci, nous avons eu le plaisir d’échanger avec Noah, artiste peintre et étudiant à la Villa Arson à Nice.
Hello Noah, pourrais-tu te présenter en quelques mots, nous dire d’où tu viens et ce que tu fais ?
Salut je m’appelle Noah Henry Cabello j’suis artiste peintre et actuellement j’étudie à la villa arson. Je suis née dans les Îles Canaries en Espagne puis j’ai passé mon adolescence en France dans le Gers. Je fais de la peinture figurative, j’aime bien dire que je peint des gens qui portent sur eux le poid de vivre dans notre monde. A travers eux j’explore l’épuisement des individus dans le système patriarcal/genré/capitaliste.

Quel a été ton parcours jusqu’à aujourd’hui ? Y a-t-il eu un moment déclencheur qui t’a poussé à te tourner vers la peinture ?
Je crois que j’ai toujours voulu faire de l’art. Petit, je voulais être dessinateur de BD, et au final, ça ne m’a jamais quitté. J’avais du mal avec le système scolaire, donc je me suis retrouvé dans une filière qui ne m’intéressait pas au lycée. Finalement, cela m’a aussi laissé beaucoup de temps libre. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à peindre et que j’ai découvert l’existence des beaux-arts. Après le lycée, je suis entré aux beaux-arts de Toulouse. À mon arrivée à l’école, je me suis senti intimidé ; j’avais souvent l’impression de ne pas être à la hauteur sur le plan intellectuel. Mais la peinture est rapidement devenue un espace où je me sentais légitime, où je pouvais m’exprimer sans avoir l’impression de dire des choses maladroites ou de faire fausse route.
Quelles sont les thématiques ou problématiques principales que tu explores dans ton travail ?
Je parle de l’épuisement des individus dans le monde genré et patriarcal, mais aussi des moments de résistance individuelle, du “care” apporté à soi et aux autres.

Comment commence une peinture ?
Quand je commence une peinture, j’imagine une situation et je fais un croquis pour travailler la composition. Je me fais une idée précise de l’atmosphère et des types de visages. Ensuite, j’utilise l’intelligence artificielle pour créer chaque élément. C’est un peu une étape de casting, donc je génère beaucoup d’images, mais souvent, je ne garde qu’un tout petit bout de chacune.
Avec ces morceaux, je fais un collage. À ce moment-là, c’est un peu comme avoir tous les jouets dont j’ai toujours rêvé pour raconter une histoire sur le monde. Quand l’image finale a du sens pour moi, je décide de la peindre.
Je mets la même douceur que si je peignais quelqu’un qui m’est cher. Quand je fais ça, je pense aux portraits du Fayoum. C’étaient des portraits mortuaires de personnes qui ont vraiment vécu ici il y a des milliers d’années, et aujourd’hui, quand on les voit, on a l’impression qu’on pourrait croiser ces hommes et ces femmes dans le métro. C’est ce sentiment d’universalité dont j’ai envie de me rapprocher dans ma peinture.
Y a-t-il des sujets ou des émotions que tu trouves difficiles à aborder dans ton travail ?
Forcément, je me questionne beaucoup sur la manière de représenter les hommes dans mon travail, ainsi que sur ma posture en tant qu’homme abordant ce sujet. J’essaie donc, autant que possible, d’adopter une posture de spectateur face aux dynamiques que je peins, plutôt que de m’imposer comme narrateur.
Dans ta peinture, on a parfois l’impression que tu joues avec le collage photographique : les membres des personnages semblent coupés, recollés ailleurs, parfois même démembrés. Qu’est-ce qui t’intéresse dans cette approche presque collagiste ?
Je pense qu’on peut y voir cette idée du corps-armure. Pour moi, c’était un moyen de faire ressentir des corps lourds et maladroits, qui contrastent avec l’assurance et le calme des visages. Je les imagine en difficulté, comme s’ils avaient du mal à bouger. Peut-être qu’ils symbolisent cette incapacité, et en même temps, cette envie d’exister très fort et très intensément dans le petit espace dans lequel ils se trouvent.
C’est aussi une manière de jouer avec la narration : leurs corps, maladroits et cassés, prennent soin d’eux et occupent l’espace du tableau malgré leur état.
Quant aux allers-retours entre dessin et peinture, pour moi, le moment de peindre doit avant tout être jouissif. Ces passages ne sont pas prémédités, c’est quelque chose que je ressens sur le moment, et j’adore le faire. Cela casse le côté trop lisse ou sacralisé de la peinture et, d’une certaine manière, ça me décomplexe. Je pense aussi que ce va-et-vient prolonge le geste du collage jusqu’au bout du tableau.

Moment ou œuvres qui t’ont beaucoup marqué ?
Bien sûr, il y a les portraits du Fayoum auxquels je pense en premier. Je regarde aussi la peinture du Quattrocento : le fait que les personnages soient comme posés là, dans leur environnement, ça me touche. Alice Neel aussi, que je regarde beaucoup en ce moment ; je pense que son travail résonne beaucoup avec mes réflexions. Je regarde aussi toute la jeune scène contemporaine, notamment le travail de Dana Schutz, mais j’aime aussi beaucoup les vidéos de Sarah Sadik. Je les cite, car leur travail résonne totalement avec mes questionnements et la manière dont j’aimerais les aborder. Enfin, je regarde aussi, et le plus souvent, mes ami.e.s artistes, qui sont ma première source d’inspiration.

Pour toi, c’est quoi, la peinture ?
C’est un poème sans mots
Si tu devais choisir trois mots pour définir ton travail, lesquels seraient-ils ?
Humain, Force, Douceur.
Quelle est, selon toi, la plus grande difficulté à laquelle un jeune artiste doit faire face aujourd’hui ?
Je pense que l’un des plus gros problèmes pour un jeune artiste aujourd’hui, c’est la question de la visibilité, surtout quand on sort d’écoles en province. Mais avant même de penser à la visibilité, le plus compliqué, c’est de construire son travail. C’est une période souvent très anxiogène, et pour surmonter cela, il est essentiel d’être bien entouré. Avoir des amis artistes et nouer des relations sincères, c’est trop important.
Comment te projettes-tu après l’école ? Quels sont tes rêves ou ambitions pour la suite ?
J’espère sortir de l’école et avoir la chance d’avoir des projets intéressants qui continuent de me faire questionner ma pratique et me donnent envie de rebondir. J’aimerais aussi avoir l’occasion de faire des résidences à l’étranger pour pouvoir déplacer ma pratique dans différents contextes.

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite de ton parcours ?
Une résidence à l’étranger prochainement, ahah.