« Toujours modèle, jamais artiste », voilà un peu après le constat que l’on pourrait se faire en se questionnant sur l’image que l’on a de la femme dans l’histoire des arts.  Une omniprésence en tant qu’objet représenté, mais bien peu en tant que sujet créateur. Comme si ces présences étaient destinées à rester tapies dans l’ombre des collections et de la littérature. Il faut attendre les années 70’s, avec le renouveau des études féministes, pour que les peintres femmes soient de nouveau l’objet d’un intérêt scientifique, porté notamment par l’article de Linda Nochlin en 1971 Why are they been no great women artist?. Il s’en suit un mouvement de forte exposition de ces artistes, par des monographies ou expositions thématiques dans divers institution muséales à travers le monde. En France, l’exposition elle@centrepompidou faite en 2009 apporte un nouvel élan ambitieux de remise en valeur du matrimoine artistique et muséal en exposant exclusivement des artistes femmes issues de ses collections, une première mondiale pour une aussi importante collection. Cette année 2024 est aussi riche en expositions centrées sur ces artistes, puisqu’elle a vu se terminer notamment l’exposition « où sont les femmes ? » au Palais des Beaux-Arts de Lille, et voit se tenir dans les derniers moi de l’année, les expositions centrées sur les artistes Céline Laguarde et Harriet Backer au musée d’Orsay, et l’exposition du musée Jean-Jacques Henner : « Elles. Les élèves de Jean-Jacques Henner ».  

 Je vous propose ainsi dans cette série intitulé « le miroir », qui s’interroge sur le reflet que les collections muséales nous offrent de notre histoire, de découvrir ou redécouvrir le matrimoine laissé par des femmes dans les collections muséales nationales, qu’elles soient artistes, mécènes, collectionneuses, où même modèles, en commençant par le plus beau des musées : le musée du Louvre.

Cet article, qui je l’espère se poursuivra en abordant les périodes historiques ultérieures aux collections du Louvre, ne se veut pas exhaustif dans l’histoire artistique féminine, il n’en a pas la prétention, ni même le but. Il se veut plutôt une introduction à ce champs universitaire riche, ici appliqué au cas particulier d’une collection, à un moment donné, selon un angle choisit. 

Artiste femme : style féminin ?

Notre parcours commence en salle 933, avec probablement l’artiste la plus connue du musée : Madame Elisabeth Louise Vigée-le Brun. Son cas, exceptionnel d’artiste femme parvenue à la postérité, est malgré tout représentatif des difficultés rencontrées par les artistes femmes au cours du XVII-XVIIIe siècle. 

Vigée-Le Brun, Louise-ÉlisabethFrance, Musée du Louvre, Département des Peintures, INV 3068 –

Elisabeth Louise Vigée le Brun, Madame Vigée le Brun et sa fille Jeanne-Louise Lucie, 1786, huile sur bois, Paris, musée du Louvre. (Salle 933)

Dans son autoportrait, Madame Vigée le Brun et sa fille Jeanne-Louise Lucie, peint en 1786, elle se peint assise dans un cadrage serré, coupée un peu en dessous des genoux sur une méridienne verte. Elle se représente vêtue d’une robe « de tous les jours », les cheveux à peine coiffés d’un bandeau blanc, comme si le peintre venait de la saisir dans l’intimité de sa maisonnée. Entre ses deux bras, elle enlace tendrement sa fille, vêtue d’une simple robe blanche et ample. Mère et fille ont le regard dirigées hors champ, vers le spectateur, comme pour nous prendre à témoin de cette relation maternelle chaleureuse, et heureuse, dont témoigne le sourire de Madame Vigée le Brun, laissant voir ses dents blanches. Cette position n’est pas sans rappeler celle des Madones, notamment celles de Raphaël, qu’elle a pu admirer au Louvre ou sur des gravures, exemple idéal de la figure maternelle et de son abnégation. 

Ce tableau s’inscrit dans la suite d’un premier tableau, réalisé cette fois ci, pour la reine de France Marie-Antoinette. Celle-ci y affichait aussi une maternité épanouit avec les enfants de France. Le but pour la reine, à travers cette image, était de faire taire les rumeurs, l’accusant de frivolité, de cupidité, d’homosexualité… et d’étouffer le scandale de « l’affaire du collier » de 1785, en mettant en scène son rôle de mère respectable, rôle socialement attendu à l’égard des femmes. Rôle d’autant plus important qu’elle était la mère du futur roi de France. 

Elisabeth Vigée le Brun, Marie-Antoinette et ses enfants, 1785-7, huile sur toile, Versailles, Châteaux de Versailles et de Trianon

L’objectif est un peu près semblable pour notre artiste, puisque celle-ci se doit d’affronter la misogynie, les critiques vis-à-vis de son rôle publique de femme peintre, qui plus est membre de l’académie royale de peinture et de sculpture, et de peintre d’une reine scandaleuse. Ne pouvait-on pas lire dans la suite de Malborough au salon de 1783, un pamphlet anonyme : 

« A Madame Lebrun, Si votre équipage est brillant, 

Ne vous gonflez pas trop, la belle 

Votre orgueil est impertinent, 

Et votre couleur infidèle (bis)  

Relisez bien (bis) ce couplet-ci, 

Dites votre Confiteor aussi. » 

Ainsi, en se peignant dans l’intimité d’un cadre domestique, avec un style considéré comme « féminin », où se dégage l’amour et la tendresse d’une maternité heureuse, et cloisonné dans le cadre discret de la domesticité, Mme Vigée-le Brun répond aux normes qui lui sont socialement et physiquement attendues : celle d’un femme, d’une mère dont le rôle principale et le but est celui de la procréation, et non de la création artistique. En outre, le fait qu’il s’agit d’un autoportrait rajoute une dimension supplémentaire, puisqu’en plus d’être une bonne mère, Elisabeth Vigée le Brun répond aux critique puisqu’elle réussit aussi à être pleinement une artiste, qui plus est reconnue. Elle fait taire d’une paire de coup les rumeurs l’attaquant en tant que peintre et celles l’attaquant en tant que femme.

Ce prisme de lecture fondé sur une essentialisation du sexe féminin dont découlerait des caractéristiques genrées innées n’est évidemment pas viable, et est le fruit d’un système de domination patriarcale visant à réduire la femme à la sphère de l’intime, du domestique, du privée. Il ne serait y avoir de style artistique propre aux femmes, le meilleur exemple pour le démontrer est peut-être le fait que le visiteur inattentif aux cartels serait incapable d’identifier et différencier le tableau d’un peintre, d’une peintre. Ou que les productions de ces dernières ne se cantonnes pas qu’à des représentations mielleuses d’une maternité sublimée, ou des scènes de la vie domestique, qu’elles se sont adonnées à d’autres iconographies, et que des hommes ont partagé ce même type d’iconographie. 

Naturellement, il n’est pas à nier que l’expérience personnelle et individuelle de la maternité de Vigée-le Brun ait influencée ses représentations et ce caractère vraisemblable d’un bonheur entre mère et fille, qui ne devait pas être feint. Un autre autoportrait avec sa fille témoigne de cette même expression de bonheur et de tendresse, malgré le temps passé.  

Cette plus grande intimité, ce caractère joyeux et décontracté peut s’expliquer par des processus historiques propres au XVIII et qui affectent une grande partie de la société, hommes et femmes confondu.e.s . Ainsi, ces figures de maternité peuvent être mise en relation, en partie, avec le relâchement qui a lieu au XVIIIe siècle, sous l’effet notamment des Lumières, où les nobles, les bourgeois et les artistes aiment à être représentés dans des postures moins formelles, plus intime, à l’instar de l’autoportrait à l’index, de Maurice-Quentin de la Tour, conservé au Louvre. 

Quant à la figure de cette maternité idéale, celle-ci est à mettre en lien avec le succès des théories rousseauistes développées dans L’Emile ou De l’éducation, publié en 1762. Cet effet de mode, de se représenter chez les femmes des plus hautes classes sociales en des portraits incarnant une maternité rêvée, leur est plus aisé puisqu’elle bénéficie de l’aide d’auxiliaires (de nourrice principalement) qui leurs permettent de garder des lieux de sociabilité extérieur à la domesticité comme la Cour, les Salons… Elles jouent d’une certaine manière à la bonne mère, à l’instar de Marie-Antoinette, dans des tableaux qui cherche à immortaliser ce moment et à l’exhiber lors de mondanité.

Madame Rousseau, femme de l’architecte Rousseau, et sa fille, de 1789, est un autre témoignage de cet engouement. 

Elisabeth Louise Vigée le Brun, Madame Rousseau, femme de l’architecte Rousseau, et sa fille, 1789, huile sur bois, Paris, musée du Louvre. (Salle 933)

Pour conclure si particularités des artistes femmes il y a, c’est du côté des structures sociales et symboliques qu’il faut les chercher. Pour citer Linda Nochlin « la faute, mes très chers frères, n’incombe pas à nos lignes de vie, nos hormones, nos cycles menstruels ou notre vacuité intérieure, mais bien à nos institutions et notre éducation – l’éducation englobant ici tout ce qui nous arrive dès lors que nous naissons à ce monde de symboles, de signes, et de signaux. » Et ce sont ces structures sociales et politique, que nous allons chercher à mettre en avant. 

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