Une fois par mois, nous donnons la parole à de jeunes artistes sous le format d’une interview. Ce format a pour objectif de donner aux jeunes artistes un espace de discussion et de partage de leurs productions, mais aussi de faire découvrir au public leurs parcours & leurs démarches artistiques. Ce mois, nous avons eu le plaisir d’échanger avec Léon Huneau, artiste et étudiant en dernière année de Master Peinture à la Cambre à Bruxelles en Belgique.


Tout d’abord, pourrais-tu te présenter brièvement ? D’où viens-tu et que fais-tu ?

Je m’appelle Léon Huneau, j’ai 24 ans et j’ai grandi dans le sud de la France. En ce moment je termine mon master à La Cambre en option peinture. Ma pratique alterne principalement entre la peinture et le dessin, bien que je porte de plus en plus d’intérêt à la sculpture et à l’installation. 

Quelles sont les thématiques / problématiques que tu abordes dans ton travail ?

Les thématiques que j’aborde varient au fil des projets et des années, mais le souci de l’image et de sa représentation constitue le nerf de ma pratique. Ces dernières années je me suis intéressé à l’hybridation d’images. En résulte une image composite, une image composée d’images, au sein de laquelle des signifiants, jusqu’alors étrangers, sont forcés de cohabiter. Les superposition, effacements et déplacements sont au cœur de mon procédé créatif. Lors de cette phase, je participe à la construction de l’image par sa destruction. L’addition d’éléments nouveaux implique la disparition de certaines informations, parasitant ainsi la lisibilité de l’image. À travers ces mutations, je tente d’entraver l’appropriation complète de mes images par le spectateur. Les divers rapports d’échelles et de perspectives qui les constituent invitent ou poussent au déplacement afin d’observer différentes versions d’une même scène. Cette notion de point de vue est un autre de mes axes de recherche. Plus récemment, les thématiques sur lesquelles je me concentre abordent les notions de causalité, de lutte et d’aide de son prochain.

The Web #1 – Acrylique sur toile, 140 x 160 cm, 2022

D’où proviennent les images que tu utilises ?

Les images que j’utilise sont piochées dans différentes bases de données sur internet. L’image étrangère porte en elle une histoire, un contexte, un moment, un témoignage. Qu’il s’agisse de l’anecdote qu’elle renferme ou du chemin que j’ai emprunté pour y parvenir, l’image étrangère porte en elle cette qualité anecdotique que je ne trouve pas dans l’image personnelle. L’histoire qui lui est attachée n’est pas anodine, elle profère un sens caché à mon travail. Cela dit, je commence tout juste à m’intéresser à l’élaboration d’images réalisées de toutes pièces, c’est un travail très différent et dépaysant. Malgré tout, l’image trouvée doit toujours exister quelque part en arrière plan pour que l’image créée existe. Aussi, la notion de corpus est essentielle dans mon travail car je ne considère pas mes images comme autonomes. C’est leur caractère multiple, composite, qui leur permet de vivre et d’évoluer, sans quoi elles finiraient par perdre de leur sens.

Où commencent tes recherches ? Quel est le point d’entrée dans ton travail ?

C’est difficile à dire car la dynamique de recherche varie en fonction du projet. Le point de départ peut être une simple anecdote, une image, une information, une phrase, … Comme pour la recherche picturale, la majorité du travail se déroule sur internet. En partant de l’élément qui m’a interpelé, je me laisse guider vers les différents articles, archives et sites où me mènent les liens hypertextes. La spontanéité n’étant pas une grande qualité chez moi, j’ai appris à laisser place à l’accident durant cette phase de recherche. Le résultat peut alors se situer bien loin du point de départ et le propos en est souvent enrichi.

Es-ce que tu passes par différents médiums, supports techniques ?

Ça n’a pas toujours été le cas, mais depuis quelques années je peux dire que j’ai une pratique pluridisciplinaire. La peinture et le dessin ont toujours été les grands repères dans mon travail, j’ai systématiquement alterné entre l’un et l’autre car, à mes yeux, ce sont des pratiques complémentaires. Le dessin m’offre ce que la peinture ne peut pas, et inversement. Je finis toujours par ressentir un manque, à ce moment là je change d’outil. Aujourd’hui la sculpture s’est ajoutée à l’équation, reste à voir si elle s’avèrera indispensable à long terme au même titre que la peinture et le dessin. En réalité, tout ça est dicté par un changement que j’ai opéré dans ma démarche l’année dernière. Depuis je me perçois davantage comme un directeur artistique ou un réalisateur, qui va établir un cahier des charges énumérant les éléments indispensables à la réalisation du projet. Après quoi je quitte cette position pour endosser les différents rôles nécessaires pour remplir le cahier des charges. Chaque projet peut ramener son lot de nouveaux médiums, aucune barrière n’est définie à l’avance. Cette nouvelle liberté me permet de constamment découvrir des nouvelles choses et de ne pas m’ennuyer, ça fait du bien.

Octogoat – Graphite sur papier sous verre, 42 x 59.4 cm, 2023

Quel est la place de la narration entre les œuvres ? 

Effectivement la narration occupe une place grandissante au sein de mes projets. Avant elle apparaissait en arrière plan, comme une seconde lecture dans un travail qui était très factuel et direct. Les thématiques abordées me contraignaient dans leur rigidité, du moins dans la lecture que j’en proposais. Dorénavant la narration se présente comme une entité distincte, presque indépendante, au rôle pleinement assumé. Souvent grâce à l’addition d’éléments de fiction, elle me permet de trouver une liberté quant au traitement de la thématique abordée. La série, elle, est apparue plus récemment dans mon travail, davantage comme un dispositif servant à structurer le travail au moment où je le développe. Elle s’est révélée être une solution à des problèmes d’accessibilité : la répétition de techniques ou de motifs apporte les repères manquants au spectateur pour mieux déceler les informations dans une installation autrement cryptique.

Ton travail traduit un geste de maîtrise, de précision, ce qui implique aussi une temporalité assez longue sur tes œuvres ?

Je ne pourrais pas vraiment dire combien de temps il me faut pour finir un peinture ou un dessin, quand j’ai la tête dedans j’ai du mal à me rendre compte du temps passé à travailler. Ce qui est sûr, c’est qu’au moment où je vais me mettre à travailler, il faut que je sois sûr de pouvoir le faire pendant plusieurs heures d’affilée, sans interruption. Je dois pouvoir être à cent pour cent dans l’exécution et faire en sorte que le geste devienne quasiment automatique. À ce moment là je suis comme dans une bulle et je ne suis concentré que sur l’image. On m’a dit à plusieurs reprises que j’avais un travail de moine copiste, je trouve ça drôle. S’il m’arrive d’être distrait, je prends conscience de chaque geste que je fais et de chaque seconde qui passe, l’image stagne, c’est pénible.

Y’a t-il une place à l’aléatoire dans tes productions ?

Pour le moment pas vraiment, non. Il y a, dans la conception et la réalisation, des frontières mentales que je me fixe involontairement et qui ne laissent pas réellement de place à l’aléatoire.  J’aimerais parfois m’en débarrasser et adopter une posture plus spontanée, mais je préfère accepter cet aspect de ma pratique et en tirer profit. Cela dit, les accidents sont inévitables, au même titre que les accrocs, les doutes et les périodes de vide. J’ai l’impression que ce sont dans ces moments là que s’ouvrent des failles dans le travail. Il faut savoir les saisir au bon moment pour dévier la trajectoire initiale du projet et l’emmener ailleurs. J’essaie de rester sur mes gardes pour capter ces brèches et défier la rigidité de mon processus créatif.

T-shirt – Acrylique, graphite, émulsion PVA sur toile, 40 x 50 cm, 2022

Tu travailles principalement à l’Aérographe, est-ce que tu pourrais nous parler de cet outil, pourquoi l’avoir choisis, pour quelles qualités?

C’est un outil sur lequel je me suis arrêté après avoir longuement réfléchi à ce que je cherchais dans mon traitement de l’image : le flou. Le flou a un rôle de mise à niveau. Je l’emploie pour homogénéiser, pour rabattre les contrastes et les degrés d’importance, pour que tout se vaille, que tous les éléments s’interpénètrent sans hiérarchie aucune. En effet, au-delà du contenu sémantique de l’image, ce sont ces moments de transition qui m’intéressent. Je suis attaché à la restitution de toutes ces formes abstraites qui, une fois combinées, constituent l’image. Dans son absence de facture, comme dans sa distance avec le support, l’aérographe teinte la réalisation de l’image d’une qualité industrielle, neutre, désintéressée du sujet.

Pour toi c’est quoi la peinture ?

Un outil.

Es-ce que tu pourrais me donner 3 mots qui permettraient de définir ton travail ?

Moiré, bâtard, volatil.

Tu es en dernière année à la Cambre : Qu’est-ce que cela t’a apporté dans ton travail, ta démarche de création et de recherche ?

Globalement je dirais que ces cinq années m’ont aidé à apporter de la cohérence aux projets que je développe. J’ai appris à me demander de quoi a besoin la dernière production pour être enrichie par la prochaine, à m’attarder sur les petits détails qui élèvent la qualité d’un ensemble, à me rendre compte que le travail d’atelier n’est qu’une partie de ce qu’un artiste doit savoir maitriser, à devenir autonome. Ce tutorat m’a beaucoup aidé en pointant du doigt tous ces problèmes avant que je n’y sois confronté dans un contexte moins indulgent qu’est celui de l’après école.

Pissenlits & Cible (Diptyque) – Acrylique, huile sur toile, 40 x 50 cm x 2, 2021

Quelles sont les références qui t’accompagnent en ce moment ? Celles qui t’ont beaucoup marqué ? Actuelle et plus historique ?

À vrai dire en ce moment mes références correspondent plutôt à de la documentation qu’à des travaux artistiques à proprement parler : articles scientifiques, anecdotes de tournages, archives historiques, récits personnels, … C’est ce qui nourrit le plus directement mon travail. Il y a tout de même quelques découvertes récentes qui m’ont captivé, comme Darko Maver d’Eva & Franco Mattes, History of Night and Destiny of Comets de Gian Maria Tosatti, True Crime de Sayre Gomez ou L’ennemi de mon ennemi de Neïl Beloufa. Autrement, des artistes comme Ed Ruscha ou John Baldessari arrivent encore à me fasciner malgré les années qui me séparent de leurs œuvres.

Quelle est, selon toi, la plus grande difficulté en tant que jeune artiste ?

La visibilité. C’est difficile de se démarquer dans un paysage artistique saturé comme aujourd’hui. Je ne parle pas de changer sa pratique pour plaire au plus grand nombre, mais de trouver les solutions pour mettre son travail en valeur et sortir du lot. C’est vraiment une facette du métier dont je me passerais bien —comme beaucoup d’entre-nous j’imagine—, mais mon travail n’existe pas tant qu’il ne sort pas de l’atelier, tant qu’il n’est pas communiqué avec le monde extérieur. C’est une nécessité qui implique beaucoup de ressources et d’énergie, ce n’est pas pour rien que des professions à part entière existent pour répondre à ce besoin, et c’est aussi ce qui explique pourquoi la tâche est si difficile en tant que jeune artiste : il faut gérer tous ces rôles soit-même.

The Web #4 – Acrylique sur toile, 180 x 280 cm, 2024

Comment te projettes-tu pour l’après école et qu’est-ce que l’on peut te souhaiter pour la suite ?

Pour ce qui est du futur proche, je vais postuler pour des résidences et des ateliers, voir là où ça me mènera. J’ai hâte de voir comment ma pratique va évoluer. Cela dit, sur le long terme, je n’ai pas spécialement envie de me cantonner à une production d’atelier, par peur de me renfermer et de tourner en rond. À côté, j’aimerais pouvoir m’investir dans une dynamique collective, pour continuer à être stimulé, créer quelque chose de nouveau et qui n’est pas autocentré. Je vais aussi rester attentif aux possibilités de parcours, je suis curieux de voir ce qu’il se fait ailleurs, dans d’autres corps de métiers, dans d’autres régions du monde. J’ai conscience que c’est ambitieux, mais c’est ça qui est motivant !

Pour retrouver le travail de Leon Huneau : https://www.instagram.com/leon_uno/

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